Dominique Païni

Valérie Sonnier dessine-t-elle pour « voir l’âme » de son objet à roulettes ? C’est ce que Baudelaire suppose chez l’enfant qui tourne et retourne son joujou, le secoue, le cogne contre les murs, le jette par terre. Dures épreuves que subissent les jouets, dont ce petit camion est probablement un rescapé, car il ne semble pas complet. (…)

Cette aventure d’un camion – absurde ? c’est un mot faible pour cette histoire des Silly Symphonies du Disney des années trente –, conquérant sexuellement une poupée, puis le monde entier, pour enfin rencontrer la mort, suscite l’incontestable sentiment décrit par Freud « quand des choses, des images, des poupées inanimées s’animent. » (…)

Et inutile d’insister sur l’ambivalence perverse des jouets, et particulièrement des poupées, comme déclencheurs des anamnèses dont le cinéma usa et abusa avec génie. Alfred Hitchcock utilisa dans Le Grand Alibi (1949) une poupée tachée de sang pour confondre le personnage interprété par Marlene Dietrich…

L’essentielle beauté de ce Cahier des morts minuscules réside dans une éclosion de réminiscences. Freud encore, dans le texte fameux déjà évoqué, en commentant l’Homme au sable tiré des Contes nocturnes d’Hoffmann, s’arrête sur la folie du héros Nathanaël qui s’exclame : « Petite poupée de bois, tourne ! ». Petit camion de bois, tourne à ton tour ! Ce jouet accomplit un tour du monde, entre naissance et mort, et en cela il évoque la destinée de certains de ces objets trouvés, qui sont détenteurs de secrets nous concernant. Incontestablement, ce camion en sait long sur celle qui le dépeint.






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