Bruno Girveau

Évidemment, Le Cahier des morts minuscules, ce n’est pas un titre de livre pour enfants. Si ce n’était cette annonce troublante, c’est pourtant ce que l’on pourrait croire en feuilletant les premières pages du livre de Valérie Sonnier. On trouve en effet d’abord tout joli dans ce recueil. Un charmant petit camion qui évolue au milieu d’autres jouets tout aussi charmants, au fil des pages fanées d’un vieux livre de comptes. Des couleurs délicates, des rencontres cocasses, tout est plaisant, tout est charmant. Mais le joli n’est pas une qualité en art, moins encore aujourd’hui qu’hier. Heureusement, tout se gâte très vite. Le petit camion fait la connaissance d’une poupée et semble intimement goûter sa présence. C’est donc qu’il y a de la sexualité là-dedans. Le spectre du livre d’enfants s’éloigne. Celui de la mort en revanche se dessine. Le petit camion croise la route d’un pistolet, le regarde en face, et c’est enfin un squelette pantin qui l’accueille dans ses bras. On est rassuré, l’artiste traite sérieusement des seuls sujets qui vaillent, grandir, aimer, mourir. La métaphore paraît évidente, l’errance du petit camion, c’est celle de l’homme, dans sa trajectoire tragique et inexorable. (…)

Si l’histoire s’arrêtait là , elle serait belle, mais trop triste. On ne fait pas mourir un jouet. Le trépas du petit camion semble serein, mais c’est bel et bien une mort, si minuscule soit-elle. Privilège de l’artiste, il renaît dans des cahiers postérieurs à celui ici publié. Il est même le héros de petits films tournés en Super 8 (Le jardin I, l’été, 1995 ; Le jardin II, l’hiver, 1997 ; La plage, 1998), comme si les cahiers avaient pu inconsciemment être conçus comme des storyboards. Le petit camion est désormais plus clairement le double de l’artiste, l’accompagne lorsqu’elle voyage (à Vancouver en 1993), ressuscite ce qui ressemble maintenant à ses propres souvenirs d’enfance. (…)

Derrière leur apparente légèreté – derrière l’apparente légèreté des dessins de Valérie Sonnier –, les jouets sont d’une richesse symbolique et culturelle immense. Ils préparent à la vie de « grand » autant qu’ils permettent de s’en émanciper en éveillant notre imagination. C’est la raison pour laquelle il est si difficile de s’en séparer. Leur abandon est douloureux, car il signifie notre entrée dans l’âge adulte, fait d’amour et de rencontres, mais aussi de compétition, de responsabilités et au final, de néant. De même que le jouet est une réduction poétique du monde réel, le destin du petit camion laitier est la contraction mélancolique d’une vie humaine. Et ce cahier, dans la force d’une première idée, sans une parole, nous offre un poignant livre d’artiste.






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