Michèle Cohen Hadria

Il y avait peu, entre les premiers dessins que Valérie Sonnier réalisait en fin d’études aux Beaux-arts de Paris et une latente propension cinématographique qui devait la conduire à filmer ce qu’elle avait auparavant poétiquement et consciencieusement dessiné. La translation de l’un à l’autre des médiums traduisant une même appréhension du monde, devait se révéler, chez elle, sans encombre et naturelle. Ces images au crayon qu’elle consignait sur de vieux cahiers de comptes imposaient d’austères arêtes d’habitats familiaux, de denses tracés de branches et de feuillages avec une précision pointilliste dédiée au souvenir dont elle tirera des cartes postales intimes, charbonneuses, habitées, hantées. Or ce travail, moins taciturne que leste, inquiet, se révéla surtout profond. Un jouet de bois, petit camion laitier, y incarna un ciné-œil qui jusque là s’ignorait. (…)

Car il persiste une indécision fondatrice dans les images que capte Valérie Sonnier entre un monde inerte et dormant (dessins, peintures, vidéos figées dans l’acrylique…) et un univers inquiet, mais perpétuellement vivace (vibrants « films de famille » oscillant entre une mémoire gommée et l’excitation du film expérimental). Ni la mémoire d’une image « baveuse » d’un Burckhardt dans « Alabama Square » dans les années 40/50, reconduisant un film 8 mm en fortuite photochimique peinture du temps, ni l’insatiable vision phénoménologique d’une Marie Menken, dans Glimpses in the garden, ne sont étrangers à cette filiation à laquelle Sonnier appartient mais dont, quand je l’ai rencontrée, elle ignorait encore l’existence. Chez Sonnier, le dessin ne sert pas réellement de story-board, charpente docile de quelque film futur. La vitesse de son ciné-œil dans un jardin familial ne contredit nullement une sidération objectale, palpable en certaines de ses toiles qu’elle continue de peindre dans son atelier. Une vidéo reproduite à l’acrylique évoque chez elle une tout autre matière, une tout autre « épaisseur vidéo » venant relater la scène archétypale, érotique, d’un groupe enfantin s’essayant à « jouer au docteur ». (…)

Le film se transfigure ainsi en ombres chinoises ivres, quasi expressionnistes dès que le camion / œil s’élance, en caméra subjective, à travers ronces, cailloux secs, haies, taillis laissés à l’abandon. L’angle mort de toute chose devient son horizon vibratile. Le dessin s’y dissout, se transmuant en « filés » cinématographiques ombrés. (…)

Il est beau de voir la résistance de ce jardin, sentir combien celui-ci, promis à la démolition par les promoteurs, cèle obstinément ses secrets, celui de sa nature et de sa ressouvenance. Cette résistance fait la réussite de l’œuvre. De fait, ce n’est pas l’enfance, où l’artiste apparaît déguisée en petite fée filmée par sa grand-mère devant un arbre de Noël, mais bien le temps qui fait la substance aujourd’hui du travail de Valérie Sonnier. Opacité, immobilité, vitesse endiablée y restent mitoyens. À travers le temps, ce sont aussi les non-dits, soubassements de toute existence, mais aussi la mort donc, qu’interroge l’artiste. Comme si cette mort, Nature morte bien morte, filage ininterrompu d’un vécu, détenait à son tour pour substrat, une autre vie. Un autre discours, que l’artiste se penche vers le sol pour mieux écouter. Courses effrénées d’un chariot dans un jardin ou sur une plage, les Natures mortes fixes ou endiablées de Valérie Sonnier demeurent avant toute chose éminemment vivaces.






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